Interview Frédéric Maari, spécialiste en activités cliniques au CRDM

25 avril 2023

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière le lien étroit entre santé mentale et l’abus de substances.

Alors que la Semaine de la santé mentale bat son plein, il est important de se rappeler que la santé mentale et la dépendance sont souvent étroitement liées. Nous en avons discuté avec Frédréric Maari, spécialiste en activités cliniques au Centre de réadaptation en dépendance de Montréal. 

Selon les experts, la majorité des personnes qui deviennent dépendantes à la drogue ou à l’alcool présentent d’autres troubles psychiatriques, une enfance traumatisante ou les deux. Plus de 90 % des personnes qui ont, ou ont eu des problèmes d’abus de substance ont aussi eu un problème de santé mentale.  

Une situation qui tend a pu s’empirer dans les dernières années. L’Agence de la santé publique du Canada a observé une augmentation de l’usage de substances par certains groupes vulnérables pendant la pandémie. Alors que le confinement et les mesures sanitaires ne sont plus qu’un mauvais souvenir pour plusieurs d’entre nous, les intervenant·e·s Centre de réadaptation en dépendance de Montréal (CRDM) observent au quotidien les effets de la pandémie de Covid-19 se font toujours sentir auprès de leur clientèle.

L’impact de la pandémie sur la consommation  

Pour Frédéric Maari, spécialiste en activités cliniques au CRDM, cette augmentation de la consommation de drogue et d’alcool est liée à une aggravation de la détresse psychologique. «On a vu des gens qui faisaient beaucoup d’efforts et soudainement, tout ce qui pouvait contribuer à leur rétablissement s’est arrêté. Il y a eu de la régression.» Retrait de la vie en société, manque de tissus social : la rupture des habitudes a amplifié le phénomène. « Certaines personnes pouvaient consommer après leur journée de travail. Mais avec le télétravail, il y a comme une barrière protectrice qui est tombée », souligne M. Maari. 

Les réseaux sociaux ont aussi contribué à la détérioration de la santé mentale de certaines personnes. «La division sociale qu’on voit sur les réseaux peut alimenter le sentiment paranoïaque, la frustration contre la société, et avec l’isolement, fragiliser les plus vulnérables,» explique le spécialiste. 

De l’automédication à la dépendance 

Du côté du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, on estime que l’abus de substances et les troubles de santé mentale ont en commun un ensemble de facteurs de risque et de facteurs de protection. L’abus de substances peut déclencher des troubles de santé mentale, une détresse grave et prolongée. Mais, à l’inverse, certaines personnes se tournent vers les drogues et l’alcool pour soulager leurs symptômes de maladie mentale. 

Les experts observent que ce sont souvent des pensées désespérées sur elles-mêmes et sur l’avenir (et pas seulement les pensées sur les bienfaits de la drogue) qui prédominent chez les personnes dépendantes. Parallèlement, les pensées sur les conséquences négatives de la consommation sont minimisées, tout comme celles sur les autres moyens de faire face à la situation. Les drogues sont surévaluées en tant que moyen d’atténuer la détresse ; tout le reste est sous-évalué. Il en résulte un équilibre instable qui, le plus souvent, penche en faveur de la consommation. 

Frédéric Maari abonde dans le même sens. Pour plusieurs, l’utilisation de substances psychoactives comme les médicaments, la drogue et l’alcool, est une façon de réguler leur état ou d’atténuer leur souffrance. Mais l’automédication peut entraîner la dépendance.  

Par exemple, une personne peut être anxieuse, et réaliser que prendre deux ou trois bières la calme. «Au bout de quelques semaines, les deux ou trois consommations d’alcool ne la calmeront plus suffisamment. Elle va avoir besoin de trois ou quatre consommations d’alcool et ainsi de suite de semaine en semaine. Ça va augmenter de mois en mois, jusqu’à avoir besoin de huit consommations d’alcool par jour pour ne pas être dans un trouble d’anxiété.» C’est à ce moment que l’alcoolisme, la dépendance à l’alcool s’installe, que les méfaits liés à sa consommation deviennent plus importants que les avantages.  

Un effet pernicieux de la stigmatisation 

L’automédication, c’est en quelque sorte une médication non ajustée, sans suivi professionnel, souvent sans être conscient des effets secondaires. Frédéric Maari y perçoit un effet de la stigmatisation de la santé mentale. «Je le vois beaucoup dans nos services. Les gens veulent régler leurs problèmes par eux-mêmes. Se faire apposer une étiquette de trouble anxieux, de trouble dépressif, de trouble d’usage de substances, c’est confrontant. Plusieurs personnes vont préférer régler leurs problèmes par elles-mêmes. Aller chercher de l’aide, c’est plus facile quand tu t’es ouvert le bras et que ça saigne!» 

Les gens pensent qu’ils n’ont pas de pouvoir sur leur consommation, qu’ils ont perdu le contrôle. Mais on peut retrouver du pouvoir. Tout le monde a la capacité de le reprendre.

Frédéric Maari

Spécialiste en activités cliniques, CRDM

Comment aider? 

Puisque la stigmatisation empêche les personnes qui souffrent de santé mentale d’aller chercher de l’aide professionnelle, il faut voir la consommation compulsive de drogues et d’alcool comme la réponse à une grande souffrance plutôt qu’une quête égoïste de plaisir. 

Si on suspecte quelqu’un de notre entourage d’avoir un problème de consommation, Frédéric Maari suggère de rester à l’écoute. «Même nous, les intervenants, on cherche souvent des solutions pour aider les gens à régler leurs affaires alors que souvent, il faut simplement écouter, comprendre ce que la personne nous dit.» Il suggère aussi de faire preuve de compassion, de respecter le rythme de la personne, de lui redonner du pouvoir. « Les gens pensent qu’ils n’ont pas de pouvoir sur leur consommation, qu’ils ont perdu le contrôle. Mais on peut retrouver du pouvoir. Tout le monde a la capacité de le reprendre. »  On peut aussi aider nos proches à se sortir de l’isolement. «Pour se sortir de la dépendance, il faut remplir sa vie avec des choses qui sont incompatibles avec la consommation.»